Ni Dieu ni maître #3 – Anarchisme et ésotérisme Partie 1

Il y a longtemps, j’ai passé une année à traquer l’anthroposophie sur le net. On faisait ça à deux avec un ami. On mettait en commun les résultats de nos recherches. Une mindmap gigantesque s’est construite, regroupant des noms de personnalités publiques, d’entreprises et d’associations plus ou moins proches de l’anthroposophie. Il y avait quelque chose de stimulant à faire ces recherches. Les anthroposophes disent très rarement qu’ils le sont. Alors partir à leur recherche c’était comme jouer à cluedo. Et plus le temps passait, plus on arrivait à se convaincre que l’anthroposophie était une organisation tentaculaire, qui œuvrait en sous-main, qui était partout présente, et qui était foncièrement malfaisante. Preuve ultime en était : que les écoles Waldorf endoctrinaient les enfants dès le plus jeune âge, cultivant un terreau qui les rendrait tout leur vie poreux à l’ésotérisme.

Cet ami et moi avons rompu. Et j’ai cessé d’alimenter notre passion commune.

Quelques années plus tard, la critique de l’anthroposophie est devenue plus répandue dans les milieux de gauche. Mais ce que les gens en disaient me semblait caricaturale, très peu documenté. L’anthroposophe était devenu dans la bouche de certains une sorte de facho, à combattre coûte que coûte. J’ai écouté les arguments mobilisés par ces personnes. Et me suis rendu compte que c’était ceux-là même que j’utilisais par le passé. J’ai mis un moment avant de prendre de la distance de cette critique caricaturale. Je me suis plongé dans la doctrine anthroposophique. C’était laborieux. J’ai entamé des recherches en sciences des religions avec entre autre cette idée : comprendre l’anthroposophie. Je pense être parvenu à saisir les contours et la profondeur de ce mouvement. Et je ne pense plus que l’anthroposophie représente une menace alarmante. Je ne suis pas devenu sympathisant pour autant. Je ne veux pas défendre ici l’anthroposophie. Elle est une organisation religieuse parmi d’autre, elle partage avec d’autres mouvement son dogmatisme. Elle est une organisation religieuse à part entière, que cela plaise ou non à la société anthroposophique. Elle est traversée de contradictions et de tensions, et tous ses membres ont une lecture à eux de l’enseignement de Rudolf Steiner. Il y a au sein de l’anthroposophie des dérives sectaires caractérisées, et vu l’offensive qu’elle mène contre ses détracteurs, le changement de pratique n’est pas pour tout de suite. On peut lui reprocher beaucoup de choses, sans aucun doute. Mais peut-être est-il nécessaire de rappeler une évidence : l’anthroposophie n’est ni omniprésente, ni omnipotente. Ceux pour qui elle apparaît comme telle baignent dans une illusion conspirationniste.

Je me suis rendu compte assez tard avoir moi-même baigné dans des théories conspirationnistes. Avoir fait de l’anthroposophie une organisation toute puissante, une menace à démasquer avant de l’eradiquer. Et j’ai défendu ça tout en étant intimement convaincu de la finesse de mon esprit critique. Mes réflexions me semblaient profondément pertinentes et logique. L’impression d’être un des seuls à s’en rendre compte ne faisait que renforcer ma conviction : il fallait que je fasse savoir la vérité.

Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que je me lance dans une suite de billets sur l’ésotérisme et ses relations avec les milieux anar. Et si j’ai bien envie de me prémunir d’un écueil, c’est celui de sombrer dans l’analyse conspi. Je refuse les raccourcis simplistes, les amalgames. Je pense qu’il nous faut questionner la place de la religion et dans nos milieux anarchistes. Qu’il y a là un sujet qui mériterait un vrai débat, et ce n’est pas une figure de style. Je pense sincèrement qu’il y a là quelque chose d’assez intriguant pour qu’on s’y penche. Pour qu’on s’y penche sans faire de procès en dogmatisme d’un côté ou de l’autre. Choisir de prendre un peu de distance avec les passions que ce sujet déchaîne.

Esotérisme?

Je pars du principe que vous connaissez mieux l’anarchisme que l’ésotérisme. Je ne vais pas m’aventurer à définir l’anarchisme maintenant. Il sera question de différents courants, que je vous laisse creuser par vous même si vous voulez. Je vais faire l’impasse sur la définition de l’anarchisme, mais pas sur celle de l’ésotérisme. C’est un mot utilisé pour dire pas mal de choses différentes. Alors je voudrais définir ce que moi j’entends par là.

Je vais emprunter une définition d’autorité ; celle de l’historien français de l’ésotérisme Antoine Faivre. Il parle du mouvement qui a émergé en occident dès le XVIIIe siècle : l’ésotérisme occidental moderne.

Antoine Faivre en détermine quatre caractéristiques fondamentales :

  1.  La correspondance universelle. Il existerait des correspondances entre tous les niveaux de réalité de l’univers, qui est une sorte de théâtre de miroirs parcouru et animé par des forces invisibles. Des rapports étroits entre le macrocosme et le microcosme. Pensez aux correspondances entre les planètes, les métaux et les couleurs qu’on retrouve dans l’alchimie.

    • Saturne – Plomb – noir,

    • Jupiter – Etain – bleu,

    • Mars – Fer – rouge,

    • Vénus – Cuivre – vert

  2.  La Nature vivante. Le cosmos n’est pas seulement un ensemble de correspondances. Il serait vivant. La nature serait parcourue de forces invisibles mais actives. La nature entière est considérée comme un organisme vivant, comme une personne. Elle aurait une histoire, liée à celle de l’homme et du monde divin. Prenez par exemple la croyance du premier mouvement New Age, en l’arrivée de l’ère du Verseau. New Age, vient en effet de ce concept de « nouvel âge » : l’ère du Verseau succéderait à l’ère du Poisson, qui était l’ère du christianisme. Cette sorte de millénarisme astrologique annonçaient l’entrée prochaine de la planète Terre dans une ère de conscience supérieure, de bonheur, de bien-être. Cette entrée de la Terre dans une nouvelle disposition zodiacale engendrerait l’entrée de l’humanité dans un nouvel âge. La Terre et l’humanité ne font ici qu’un. Ils ont une même nature et une même destinée.

  3.  Le rôle des médiations et de l’imagination. Ces deux notions sont complémentaires l’une de l’autre. En effet, rituels, symboles chargés de plusieurs sens (un mandala, un jeu de tarot, un verset biblique, etc.), esprits intermédiaires (par exemple les anges), se présentent comme autant de médiations susceptibles d’assurer des passages entre les divers niveaux de réalité. Des mondes suprasensibles aux mondes sensibles et vice-versa. Pensez à la façon dont, en anthroposophie, les esprits intermédiaire comme les gnomes, les ondines, les sylphes et les salamandres prennent soin des éléments de la nature :

    • Les gnomes s’occuperaient de la terre, la racine.

    • Les ondines prendraient soin de l’eau, la feuille.

    • Les sylphes de la lumière, la fleur.

    • Les salamandres du feu et du fruit.

    quand à la notion d’imagination, il s’agit de la capacité qu’auraient les êtres éveillés de percevoir l’influence de ces esprits intermédiaires sur le monde. L’imagination c’est la faculté de découvrir, de connaître et de voir ce qui serait invisible aux yeux des humains normaux. Les forces spirituelles invisibles qui œuvrent dans le monde. Ce qu’on appelle aussi la clairvoyance ou l’éveil.

  4.  L’expérience de la transmutation. C’est le chemin initiatique parcouru pour atteindre l’éveil ou la clairvoyance. Parcours long, codifié, parsemé d’étapes qui seront différentes selon la tradition ésotérique. Il s’agit d’une transmutation de soi-même, une sorte de « seconde naissance ». Tous les maîtres de mouvements ésotériques tirent leur légitimité d’avoir non seulement terminé cette initiation, mais d’avoir guidé des disciples sur cette voie. Elena Blavatsky a longtemps dirigé la société théosophique. Elle initia Annie Besant, qui lui succéda à sa mort. En 1909, celle-ci déclare avoir trouvé un nouveau messie en la personne d’un jeune indien : Jiddu Krishnamurti. Elle l’initie à la théosophie. Quand en 1929 celui-ci quitte la théosophie, il ne renie par pour autant l’initiation spirituelle qu’il a « reçu » d’Annie Besant.

C’est une définition dans les grandes lignes, inspirée du « Que sais-je » sur l’ésotérisme, rédigé par Antoine Faivre. Vous vous demandez peut-être maintenant quels sont les courants ésotériques que vous connaissez. Un rapide coup d’oeil à Wikipédia fournit cette liste des principaux courants et penseurs de l’ésotérisme occidental moderne :

  • Aux temps modernes.

    • Illuminisme (dès Jacob Böhme, 1600),

    • Rose-Croix (1614),

    • néo-druidisme (1717),

    • franc-maçonnerie ésotérique (dès le chevalier Michel de Ramsay, 1736),

    • tarot (dès Antoine Court de Gébelin, 1781),

    • société théosophique (Helena Blavatsky, 1875),

    • anthroposophie (Rudolf Steiner, 1913),

  • Aux temps contemporains (après la Seconde Guerre Mondiale).

    • Médecines alternatives,

    • École de Bulgarie (Deunov en 1922 et Aïvanhov en 1947),

    • néo-catharisme (1950),

    • Wicca (1951),

    • néo-chamanisme (1968),

    • psychologie transpersonnelle (1969 : A. Maslow, S. Grof),

    • New Age (vers 1970),

    • Magie du Chaos (XXIe siècle).

J’imagine que vous reconnaissez là quelques noms. Ils n’ont a priori pas grand-chose à voir avec l’anarchisme, dont on pourrait penser qu’il s’en est tenu à « Ni dieu ni maître » durant toutes son histoire. Pourtant les choses apparaissent plus compliquées que ça. Et c’est le sujet de cette suite de billets. Que ce soit à travers la théosophie ou plus tard à travers le New Age, l’anarchisme a été influencé par l’ésotérisme. Les cercles anarchistes et ésotériques n’étaient pas toujours des cercles distincts. Je vous propose donc un détour par l’histoire pour comprendre ce qui a pu ici et là rassembler ces deux mouvements. Un coup d’oeil sur l’histoire pour prendre un peu de distance avec ce que vit l’anarchisme aujourd’hui. « Mettre en perspective » comme on dit.

La Belle époque (fin XIXe-début XXe)

La Belle Epoque rime avec anarchisme et ésotérisme. Les anarchistes sont influents dans le syndicalisme révolutionnaire et les individualistes constituent un mouvement de plus de 5 000 âmes en France. La société théosophique quant à elle est la représentation institutionnalisée de l’ésotérisme. Elle influence largement d’autres courants. C’est en quittant la théosophie que Rudolf Steiner crée l’anthroposophie. La théosophie d’Helena Blavatsky était en lien étroit avec d’autres organisations ésotériques. Elles constituaient une sorte de maillage, et possédaient une certaine influence à l’époque. La Belle Epoque fourmille de liens plus ou moins étroits entre les cercles anarchistes et ésotériques. Plus particulièrement entre l’anarchisme individualiste et la théosophie. Et parce que ça n’est pas une évidence a priori, je vous propose ici différents exemples, tirés de différentes sources, pour appuyer cette idée d’une proximité des cercles anarchistes et théosophiques.

La vie d’Alexandra David-Néel, exploratrice de l’Asie, bouddhiste, franc-maçonne, féministe et anarchiste du début du XXe siècle, illustre cette porosité. Elle adhéra un temps à la société théosophique d’Elena Blavatsky, puis à l’anarchisme :

«L’année précédant son voyage, quittant Paris pour Bruxelles, elle a rencontré Jean Hautstont par ses contacts avec la branche belge de la Société de théosophie. Leurs affinités artistiques se sont d’abord associées à un intérêt commun pour l’ésotérisme, avant que Jean n’initie Alexandra à l’anarchisme. Ils vivent en union libre, même si elle le présentera plus tard comme son premier mari. Ils prennent un pied-à-terre à Passy sous leur patronyme d’élection. Mais ils vivent tous deux entre Paris et Bruxelles et Jean introduit Alexandra dans les milieux artistiques, ésotériques et libertaires bruxellois, cercles bohèmes autant que bourgeois. C’est ainsi qu’elle fréquente le salon d’Élise Soyer et Raymond Nyst (1864-1948) et se lie d’étroite amitié avec Élisée Reclus (1830-1905) et sa famille. Les quelques articles qu’Alexandra David publie à cette période sous les noms de Mitra et de Myrial témoignent de son évolution : d’un débat d’idées « en interne » sur les valeurs et les croyances des théosophes, elle s’oriente, suite à son voyage en Asie, vers les milieux socialistes et anarchistes à l’intention desquels elle compose une version libertaire du Bouddha et de son enseignement (Mitra, 1895). »

‘David-Néel Alexandra’, par Samuel Thévoz, en mars 2022. [lien mort]

Je n’ai aucune envie d’idéaliser le parcours de cette femme, ou ses engagements politiques ; Je suis tombé de ma chaise en lisant le racisme crasse qui suinte du receuil de correspondances avec son mari. Depuis, j’ai tendance à relativiser l’image angélique qui est couramment faite d’elle. Je contesterai son soi-disant anarchisme dans un prochain article. Si je vous parle d’Alexandra David-Néel, c’est pour illustrer la porosité des milieux anarchistes et ésotériques en Europe de l’ouest du début XXe. Et elle est loin d’être le seul exemple de cette porosité. Ce que montre cet extrait d’article, c’est que les cercles intellectuels bruxellois de l’époque étaient fréquentés tant pas des théosophes que des anarchistes. Il semble y avoir un contexte culturel qui favorise la fréquentation de ces deux mouvements. Deux mouvements qui, malgré les apparences ne sont pas si éloignés que ça.

A l’époque, en Allemagne, la société théosophique aussi bien qu’une partie de l’anarchisme prennent part à la Lebensreform. Il s’agit d’un mouvement social pour la réforme de la vie.

« Sans théorie ni leader, la Lebensreform mêle un peu tout ça : souci du corps, végétarisme, médecine naturelle, pédagogie alternative, sexologie, intérêt pour le paysage, mais aussi ésotérisme et eugénisme, c’est-à-dire « amélioration » de la race par la sélection génétique… Annonçant l’idéologie du développement personnel, les « réformateurs » prétendent soigner la société par une accumulation de choix de consommation individuels et font reposer sur l’individu la responsabilité de sa bonne santé. En fonction de leur milieu, de leurs goûts personnels ou de leurs convictions politiques ou religieuses, des millions d’Allemands piochent là-dedans des pratiques et des idéaux qui expriment tous une aspiration au progrès individuel, à la pureté, à la « nature ». »

CQFD n°216 (janvier 2023), ‘Réformer la vie au lieu de la changer’, par Laurent Perez

Plusieurs idéologies politiques et religieuses proposent des rapports au monde compatibles avec cette réforme de la vie. Un rapport au monde totalisant, qui prétend que les comportements individuels peuvent avoir une influence globale. Des prétentions émancipatrices qui peuvent être révolutionnaires ou réactionnaires. On retrouve là entre autres l’anarchisme individualiste, la théosophie ou l’anthroposophie. L’anarchisme individualiste n’est pas franchement un courant homogène. La citation qui suit remarque qu’ils avaient tendance à vouloir constituer une sorte d’avant-garde révolutionnaire, en changeant leur mode de vie.

« durant la décennie qui précède la Grande Guerre, à la diffusion progressive, chez les anarchistes individualistes, de l’idée selon laquelle l’affranchissement de l’individu à l’égard de la société passe nécessairement par une transformation concrète de son mode de vie. […] On assiste ainsi au développement d’un discours qui tend à présenter la réforme des modes de vie comme une méthode de libération individuelle et qui trouve dans la lutte contre les aliments et substances considérés comme toxiques (viande, alcool, tabac, café) l’une de ses expressions les plus affirmées. […] Ainsi, les interdits alimentaires, les soins du corps et les exercices physiques ont-ils pour fonction de marquer l’appartenance de ceux qui s’y livrent à une part différente de l’humanité. Ils permettent à ces anarchistes individualistes de s’identifier à une minorité d’individus conscients, d’hommes nouveaux affranchis des lois sociales, et de garder, jusqu’au fond de leur cellule de condamnés à mort, la certitude d’appartenir à une élite d’hommes régénérés. »

Anarchisme individualiste et réforme des modes de vie’. BAUBÉROT, Arnaud. 2004

L’auteur a une vision assez caricaturale, et prend la dite « bande à Bonnot » pour une généralité des individualistes de la Belle Epoque, comme si tous avaient pris les armes. En terme plus généraux, on pourrait dire que les individualistes pratiquaient dans leurs vie intime des choix radicaux qui correspondaient à leur éthique anarchiste. Et si ça frisait l’ascétisme c’est sûrement parce que leur éthique recouvrait tous les recoins de leur vie.

Cette éthique radicale est également celle d’Albert Libertad, qui harangue ainsi les prolétaires dans un café :

«  Ne mangez pas l’impur aliment de la chair qui fut vivante. Le gras qu’elle vous fournit est pour vos muscles comme l’huile aux engrenages des machines. Elle en facilite le bon fonctionnement afin que leur usure puisse servir plus longtemps à des fins qui leur sont étrangères. En mangeant de la chair animale, vous vous rendez complices d’innombrables meurtres qui ne vous profitent pas. Vous êtes des victimes qui se laissent nourrir du sang d’autres victimes. ».

On a pas inventé la critique du spécisme au XXIe siècle, hein ! Les journaux l’Anarchie, Idée Libre et La Revue Sociale mêlent propagande végétarienne, anti-tabac, anti-alcool ainsi que lutte antireligieuse et antimilitariste. Cela représente un ensemble idéologique cohérent à l’époque. Et ce ne sont pas des idées exclusivement anarchistes. Dans les cercles ésotériques aussi on fustige la religion et on défend le pacifisme. Les partisans de l’ésotérisme prétendent qu’ils n’appartiennent pas à une religion, mais à une philosophie. Ils s’opposent à l’oppression religieuse avec force et cherchent à remplacer la religion par leur vision du monde. Aussi étrange que ça puisse paraître aujourd’hui, ils trouvent là un terrain commun avec les anarchistes bouffeurs de curés.

Les communautés de vie à la campagne se multiplient avant le première guerre mondiale. Elles cherchent l’autosuffisance. On y croise des gens de différents mouvements, qui travaillent ensemble.

«  On y planta des arbres fruitiers, des châtaigniers et des palmiers et le Monte Verita ne tarda pas à attirer des anarchistes, des artistes, des écrivains, des intellectuels, des anthroposophes, des théosophes et des adeptes en général d’une médecine naturelle, sans médicaments et d’un mode de vie alternatif. Les résidents y effectuaient des travaux du jardin et du potager dont ils consommaient les fruits et les légumes, construisirent des huttes d’air et de lumière, se baignaient nus ou prenaient des bains de soleil dans les solariums prévus à cet effet »

‘Des liens entre naturisme et végétalisme : de la communauté végétalienne du Monte Verita à l’influence du naturisme et végétarisme allemand en France’, Bernard Andrieu, Guillaume Robin, 2020

C’est dans ce genre d’endroit que se vivait en pratique la porosité entre anarchisme et ésotérisme. Des gens passaient de l’anarchisme à la théosophie, et vice-versa. L’un et l’autre s’influençaient. Puisque, comme on l’a vu, leurs centres d’intérêts étaient plutôt proches. Ce fut le cas de Franz Prisching (1864-1919), dont parle ce livre en allemand « Anarchismus und Lebensreform ». (chroniqué en allemand sur un blog libertaire). Prisching est né dans une famille particulièrement pauvre, il ne va à l’école que quelques mois par ans et apprend en autodidacte. Ses parents meurent alors qu’il est enfant. Il adhère aux mouvement ouvrier socialiste en 1891. Il devient rapidement anarchiste, et quitte son église. Dès 1897 il publie régulièrement des articles de propagande dans des journaux anarchistes. Au début du XXe siècle, il s’intéresse à la vision du monde que développe la théosophie. Il inclura des éléments de cette vision dans son anarchisme, en défendant par exemple que l’humain doit se changer lui-même, pour atteindre une meilleure société. Il devient végétarien et ne boit plus d’alcool. Le livre écrit que Franz Prisching réunit dans sa théorie des concepts anarchistes et ceux de la Lebensreform. Un autre exemple de la façon dont l’ésotérisme a influencé l’anarchisme à la Belle époque.

Conclusion

Aujourd’hui l’anarchisme a perdu de sa suberbe, la théosophie aussi. Elle n’est plus qu’un groupuscule ésotérique. Le départ de Jiddu Krishnamurti, déclaré comme le nouveau messie, fit sombrer la Société théosophique. Elle ne s’en releva pas. Mais Krishnamurti fit carrière de son côté. Il critiqua la figure du maître spirituel et invita les gens à penser par eux-même leur rapport à la spiritualité.

« Toute autorité, particulièrement dans le domaine de la pensée, est destructrice, une mauvaise chose. Les leaders détruisent leurs adeptes et les adeptes détruisent les leaders. Vous devez être votre propre enseignant et votre propre disciple. Vous devez mettre en doute tout ce que l’homme a accepté comme valable ou nécessaire. »

Freedom from the Known, Krishnamurti Jiddu, 2009

Voilà une critique de l’autorité qui semble proche de l’anti-autoritarisme anarchiste! Pourtant, entre les paroles et les actes de Krishnamurti, il y avait un monde. Celui qui dénonçait les gourou devint en effet un des maîtres spirituels les plus influents du XXe siècle occidental. Il posa les jalons d’une nouvelle forme d’ésotérisme : le New Age.

Mais ceci est une autre histoire, que je vous ferai découvrir dans un prochain billet.