Pour une écologie pirate, et nous serons libres

Ce livre offre une analyse de l’écologie des classes moyennes blanches et propose des fondements pour une écologie populaire. Je l’ai dévoré en quelques jours et en suis sorti convaincu qu’il recelait d’idées pertinentes. Il ne s’agit pas d’une perspective anarchiste, mais l’autrice, Fatima Ouassak, ouvre des pistes d’autonomie assez séduisantes pour qu’on s’y arrête.

Elle commence son livre en tordant le coup à la prétendue difficulté d’inclure les classes populaires dans les luttes écologistes. Ces luttes sont quasi-exclusivement basées sur la défense de la terre. Or, dit Ouassak, celui à qui on a toujours refusé qu’il s’ancre dans la terre, qu’il la fasse sienne, celui-là ne verra aucun sens à la défendre. Il faut changer de paradigme. La condition de l’émergence de luttes écologistes populaires serait simple : cesser de mener des luttes de défense de la terre pour mener des luttes de libération (de la terre entre autres choses). Renverser l’ordre des choses pour faire de cette terre celle de tout un chacun.

Cela commencerait par la revendication de la liberté de circulation et d’installation pour tous et toutes. Cela se manifesterait également dans des luttes contre l’occupation policière des quartiers populaires, ou la lutte contre l’installation d’industrie poluantes dans ces quartiers. Pour qu’enfin on puisse y vivre sans craindre de mourir d’étouffement (dû à la pollution ou à la brutalité policière). Si nous voulons une écologie populaire, alors il faudrait lutter pour que chacun vive une vie digne sur cette terre.

[Tu me pardonneras les longues citations. Pourquoi résumer des idées quand elles sont bien exprimées dans le texte?]

« Certes, depuis la fin des années 1990, et après de nombreuses démolitions, les quartiers populaires ont été rénovés. Mais ce n’était pas dans le but de planter des arbres ni d’agrandir les espaces verts que l’on a cassé des murs, ni afin que les enfants puissent mieux respirer ou qu’ils puissent jouer. On a démoli, et on continue à le faire, pour laisser place à la police. C’est la montée en puissance de l’idéologie sécuritaire dans l’ensemble du champ politique qui oriente les choix en matière de rénovation des quartiers populaires, pas les enjeux écologiques. Si l’on y respire si mal, c’est aussi à cause de la police.

L’institution policière y est quasiment devenue le seul représentant de l’État. Or la place que prend la police, c’est la place qu’il faut pour s’occuper d’un enfant. La place que prend la police, c’est la place qu’il faut pour créer une agora et que le plus grand nombre participe à la vie politique et tisse des réseaux de solidarité. La place que prend la police empêche les habitants des quartiers populaires de s’y sentir chez eux, de pouvoir s’y ancrer.

En contrôlant et quadrillant sans cesse, la police représente une menace pour les familles, et plus particulièrement pour les garçons ; elle constitue une entrave armée et institutionnelle à la liberté de circuler, elle empêche les enfants d’être libres, elle fait d’eux des sans-terre.

[…]

Malgré les milliers de victimes de crimes policiers, les morts, les blessés, les violés, malgré la terreur que fait régner la police dans les quartiers populaires, cherchant à y anéantir les garçons, malgré la menace d’une police aux ordres d’un gouvernement d’extrême droite, la gauche française

– y compris celle qui s’encanaille en période électorale sur les plateaux de télévision en déclarant que la police tue – ne cesse de réclamer plus de moyens pour la police dans ces quartiers. Mais qui va protéger nos enfants de la police ? Et qui va protéger nos enfants de cette gauche-là ? »

p. 74-77

Quelle forme prendraient ces luttes ? Ouassak invite à organiser chaque quartier en zone autonome, et à construire un réseau reliant ces zones entre elles.

L’objectif ? Imposer de fait une écologie de la libération de l’ordre colonial-capitaliste. Une libération pour tous et toutes. Face à la vague fasciste qui s’abat sur l’occident ces dernières décennies, Ouassak nous appelle à opposer un idéal radical. On s’efforcerait de faire tomber les murs que l’état et l’industrie érigent dans les quartiers populaires.

Si cet essai se lit si bien c’est qu’il est jonché de récits. Des récits de vie et des récits imaginaires. Parce que Ouassak aime perle de la vie réelle et qu’elle n’en oublie pas de faire rêver. Et là elle s’adresse aussi bien aux jeunes qu’aux vieux. Pourquoi ne pas de baser sur l’imaginaire des pirates : nous rassemblerions une flotte sur la mer méditerranée et nous vivrions libres. D’où le titre « pour une écologie pirate, et nous serons libres ». Un titre accrocheur qui résume à merveille le propos de Fatima Ouassak.

« Les trois enfants, Ace, Sabo et Luffy, habitent un quartier pauvre qui tient lieu de décharge au riche quartier d’à côté. Les deux quartiers font partie d’un même royaume mais sont séparés par un mur infranchissable. Les habitants du quartier bourgeois traitent leurs voisins de misère comme des déchets qu’ils peuvent exploiter et maltraiter – et auxquels ils finiront même par mettre le feu quand ils décideront de nettoyer la décharge. Les trois enfants étouffent dans ce monde extrêmement injuste et violent, mais ils comptent s’en libérer en devenant pirates. Un jour, alors qu’ils se retrouvent face à la mer après s’être échappés un court moment de la décharge, Sabo en fait la promesse : Ace, Luffy, un jour, nous prendrons la mer, nous quitterons ce royaume ! Et nous serons libres !

Cette scène, et tout le manga One Piece d’Eiichirō Oda dont elle est extraite, symbolisent l’immense aspiration à la liberté de toutes celles et ceux qui subissent une oppression étouffante. Et c’est certainement la principale raison pour laquelle on aime passionnément One Piece dans les quartiers populaires : la très forte identification à la figure de l’enfant-pirate, écrasé par des murs infranchissables, qui rêve de liberté. Cette aspiration à la liberté de circuler pour tout le monde, sans entraves, est au cœur du projet écologiste proposé dans cet essai. C’est pourquoi j’ai choisi comme sous-titre une référence à One Piece et au serment des trois enfants-pirates. »

Préambule. D’île en île

Un début ? Faire éclore partout des Maisons de l’écologie populaire, pour mettre en expérimentation nos projets politiques. Fatima Ouassak a participé à la fondation de celle de Bagnolet. Personnellement, elle m’a donné envie d’en être!

Je pourrais trouver des trucs à redire. Bien sûr, je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est raconté dans ce bouquin. Mais c’est vraiment à la marge. Je l’ai avalé comme un bol d’air frais. Je découvrais complètement cette façon d’aborder l’écologie. Et n’avais pas envie d’émettre de réserves. Ou de me mettre, comme toujours, à critiquer telle ou telle idée parce que je ne l’aurais pas appréhendée comme ça. J’étais hyper enthousiaste à la lecture du livre. C’était avant d’entendre une rumeur sur les pratiques autoritaires qui régneraient à la Maison de l’écologie populaire de Bagnolet. Après quoi je me suis dit que avec ou sans Fatima Ouassak, cette façon d’aborder la libération avait un sens. Ces idées me parlent. Et les idées n’appartiennent pas à ceux qui les écrivent. Je ne sais pas quoi penser de l’autrice, mais je sais que j’ai envie de faire tourner ce livre. Parce qu’on a sérieusement besoin de rafraichir notre rapport à l’écologie radicale. Et que ce qui est proposé ici est une piste claire et originale. Certainement digne d’intérêt.

Tu trouveras ici le pdf pirate de « pour une écologie pirate ». L’introduction résume son propos en une dizaine de pages et donne pas mal d’idées nouvelles à réfléchir (on pourrait en faire une brochure). Et si tu accroches, alors tu peux lire la suite sans raquer 17€. Bonne lecture 😉

 

Pour-une-écologie-pirate

par Fatima Ouassak

chez La Découverte

2023, 17€, 181 pages