Tu es avec nous ou tu es contre nous

écrit à l’automne 2017 /

 

Le « tu es avec nous ou tu es contre nous » est un faux dilemme. Une réflexion binaire qui revient à dire « tu es féministe ou tu es antiféministe », raciste/antiraciste, capitaliste/anticapitaliste. Une sentence qui réduit le choix des possibles à deux. Si tu n’es pas l’un, tu es l’autre. Si tu es critique vis à vis de l’un, tu es l’autre … Il s’agit d’un argument défensif, qui est autoritaire sous couvert de radicalité.

Et j’utilisais cet argument, il y a peu encore. La dernière fois que je l’ai utilisé, c’est en jugeant une situation de façon extérieur. Laisse-moi te la raconter de mon point de vue. Une personne que je ne connais pas, mais qui évolue dans un milieu proche du mien est mis à jour comme un violeur. Je l’appellerai ici Jean. Je me retrouve sur un camp, à fréquenter Jean et des gens que j’identifie comme « sa clique » pendant toute une semaine. Son prénom est tellement courant, que je ne fais pas le lien. C’est seulement à la fin du camp, qu’une amie m’apprend que c’est ce même type qui est un violeur. Je suis dégoûté-e ! Pourquoi est-ce qu’on ne m’a rien dit avant ? Toutes ces meufs qui fréquentent encore sa clique, auraient du me prévenir si elles avaient eu une conscience féministe ! Je me sens trompé-e. Mal d’avoir discuté, rigolé avec lui comme si de rien n’était. Sans rien soupçonner. Je termine le camp avec cette rancœur contre lui mais surtout contre ses potes. Je ne leur en parle même pas. Si iels gardent ça sous silence, c’est qu’iels le soutienne activement. Je n’ai rien à leur dire.

Lors de discussions féministes, je crois comprendre par hasard qui il a violé. Par hasard, parce que cette meuf ne le dit pas clairement. On/elle me raconte comment des actions ont été menées contre lui pour l’exclure de lieux/événements. Comment le groupe de meufs de « sa clique » questionnent des pratiques féministes (et la pertinence d’exclusions). A quel point il est bien entouré et continue de vivre tranquillement. Alors que elle vit dans la peur. Je ne sais pas trop déterminer de quoi elle a peur, mais ça prend une place importante dans sa vie. Change de numéro régulièrement. N’est joignable que par mails. Jean, lui, écrit des brochures. Il a une grande notoriété dans son style. Il en aurait même publié une qui s’appelle « Je ne veux plus être un violeur ». Je lis cette brochure, et la gerbe me monte dans la gorge. Une espèce de mea culpa dégoulinant de bonne volonté, qui offre à lire des description d’agressions sexuelles de son point de vue. Comme s’il n’y avait pas assez de textes écrits par des personnes agressées sexuellement, qui décrivent en détail ce qu’iels ont subi. Lui analyse ses actes avec froideur, comme on commenterait un film. Je m’en tape qu’il ne veuille plus être un violeur. En quoi est-ce que ça pourrait être intéressant pour quiconque ? Je prend ça pour un verni pro-féministe. En attendant la copine, elle, en bave toujours. Et n’a rien publié sur son vécu.

Je ne suis pas très proche d’elle personnellement, mais je me sens proche de cette histoire. J’ai été violé par un bon militant, clean sous tout rapport, antisexiste exemplaire. Un mec qui regrette « sincèrement » d’avoir violé plusieurs personnes, qui « fait un gros travail » sur lui, mais continu d’être un connard fini. Dans ma tête, le lien entre les soutiens de Jean et les soutiens du mec qui m’a violé est vite fait. Dans l’année qui suit, j’évite de fréquenter « sa clique ». Je ne me sens pas à l’aise quand on se retrouve sur les mêmes lieux. Pas moyen de leur faire confiance. Même si on a des atomes crochus, je les snob. A une pote, qui commence à fréquenter cette clique, je dis mon malaise en une phrase, tranchante. Elle coupe court à la discussion. Ce n’est pas le moment d’en discuter. C’est deux ans après le camp, pendant un long trajet en voiture que j’aborde le sujet pour la première fois avec un-e autre pote qui connaît la clique. Iel ne comprend pas bien ce que je veux dire. Alors je lui raconte cette histoire, comme je viens de te la raconter.

Lae pote tombe des nues. Iel me dit qu’a priori je suis plus informé-e sur cette histoire que Jean lui-même et que les personnes de la « clique ». Que la seul chose que les potes de Jean ont eu pour info, c’est « Jean est un violeur ». Quand iels ont demandé à en savoir plus (pas à avoir des preuves, à en SAVOIR plus), c’était sans succès. Iels ont vu Jean interdit d’événements/lieux sans en comprendre réellement les enjeux. Iels ne savaient pas qui était la copine, ni a qui s’adresser pour entrer en contact avec elle.

Alors c’est à mon tour de tomber des nues.
Je m’imagine à leur place. Un bon pote visibilisé comme violeur. Aucun moyen d’en savoir plus. Pas envie de mettre en question ce qui est avancé, mais envie d’avoir d’autres réponses que les siennes. Sa version à lui comme seule explication. Qu’est-ce que je ferais ?? Comment est-ce ke je dealerais avec ça ? Est-ce que je cesserais de le fréquenter ? Est-ce que je mettrais de la distance ? Est-ce que je lui demanderais d’écrire un truc (une brochure …) pour m’expliquer ce qui le travaille/traverse ? Est-ce que ses mea culpa dégoulinants de bonne volonté suffiraient à rester en confiance avec lui ? Est-ce que je me mettrais à le haïr du jour au lendemain pour ce qu’il a fait ? J’en sais rien ! J’en sais rien !!!! Les murs de mes certitudes binaires se fissurent. J’avais exigé un positionnement clair, sans appel, de la part des potes de Jean, alors qu’à leur place, je n’en aurais pas été capable. Je voyais des « soutiens infaillibles » là où il y avait sûrement des personnes en doute. Qui n’avaient pas envie/pas les moyens de se positionner dans le « tu es avec nous ou tu es contre nous ». Je suis resté un long moment sans voix, dans la voiture. Lae pote aussi. Iel ne pouvait pas imaginer le chamboulement dans ma tête. Depuis cette discussion je creuse et creuse ce faux dilemme pour en venir à bout. en espérant ne plus l’imposer à quiconque. et ne plus me l’imposer à moi-même !

J’écris ce texte en m’adressant à toi, qui entailles le patriarcat. Qui le subi dans ta chair. Et qui a déjà eu à te positionner, voire a déjà exiger d’autres qu’iels se positionnent dans le « tu es avec nous ou tu es contre nous ». Je vais essayer de t’expliquer ce que je pense ici, sans me justifier. Je ne cherche pas à te convaincre. Juste à te permettre de me comprendre un peu, si ça te tente. Autant te dire tout de suite que je ne tire pas mes idées d’une théorie/groupe politique. Je les ai creusé en croisant des gens ou en heurtant des actions. Et ces idées n’ont rien de figées. Elles sont critiquables à envi, même sans justification (peut-être même que tu m’entendras les critiquer sous peu). Elles ont émergé dans une civilisation techno-industrielle et n’ont pas la prétention de parlé d’autres situations que celles que j’ai aperçues moi-même ds cette civilisation-ci (que crève l’universalisme !).

Les violences oppressives sont partout, on les subit et on les perpétue souvent malgré nous. Je te défi de me dire que tu n’as jamais outrepassé les limites de quelqu’un-e. que tu ne t’es jamais rendu compte qu’après coup de ce que ça avait provoquer chez l’autre. Peut-être même qu’il a fallut qu’on t’explique. Que tu n’arrivais pas à comprendre seul-e. (Ou que tu ne l’as toujours pas compris en fait).

C’est la raison pour laquelle je ne considère pas quelqu’un-e sur ce qu’iel a fait, mais sur ce qu’iel EN fait. Est-ce qu’iel en prend acte, sérieusement. Si je continue à parler à un-e « agresseur-e », et si je mets des guillemet autour de ce mot, je ne remets en aucun cas en cause ce que tu as pu vivre. Je ne prends pas partie POUR ellui et CONTRE toi. Je ne lui suis pas un soutien infaillible (ni pour l’un-e ni pour l’autre). Je ne veux pas DEVOIR cesser de lae fréquenter et ne plus lae définir que par quelque chose qu’iel aura fait à un moment donné de sa vie. Je continuerai peut-être de lae fréquenter si j’observe qu’iel s’est donné/se donne les moyen de travailler sur son comportement. Si iel fait, ce que j’estime être, le nécessaire pour qu’une tel situation ne puisse plus se reproduire. Si j’ai l’énergie de brasser une énième fois tout ça.

Je ne dis pas qu’il faut « soutenir » tout-e agresseur-e dans son « cheminement personnel pour CHANGER ». Je ne dis pas que je le ferai. Je te dis que ma réaction sera différente à chaque situation. Que je n’ai pas envie d’appliquer un schéma de pensées/réactions prédéfini et approuvé pour toute situation de violence oppressive. Ce serait faire le jeu de la justice, et je refuse d’être un-e justicier-e !
Si tu démontes la gueule d’une personne à qui je tiens, j’en souffrirai sûrement pour ellui. Ça ne voudra pas nécessairement dire que je critiquerai ton acte, que je ne le comprendrai pas.

Quand, il y a plusieurs années, j’ai eu a faire face à une agression sexuelle, j’ai riposté. Ça a été ma réaction. Elle s’est imposée à moi pour affronter ça. J’ai envie aujourd’hui d’avoir un regard distancié sur la riposte, une auto-critique autant qu’une critique.

J’ai aucun problème , en soi, avec l’utilisation de la riposte/attaque. Je ne la trouve pas moralement bonne ou mauvaise. Souvent, quand j’entends des échos de ripostes/attaques, elles me font chaud au cœur. Me donnent de la force pour en mener moi-même.

Taguer/ pourrir/ défigurer/ caillasser/ briser/ casser/ voler/ saccager/ humilier/ incendier/ crever/ cracher/ menacer/ cibler une personne/ un groupe de personnes/ du matériel/ nommément/ de manière indiscriminée/ «gratuite»/ revendiqué/ anonymement

Tous ça ne me parle pas de la même manière en toute circonstance. Je ne veux pas participer au fantasme ou a l’érotisation de la riposte. Dire «no limit» tout est cool. Si je suis sincère avec moi-même, je ne peux pas savoir à l’avance, ce qui me fera kiffer. Ça dépendra des situations. Je peux m’imaginer des scénarios que je trouverai bien cool, d’autres franchement moins. Mais même dans ce «franchement moins», ya du positif pour moi. Parce que jusqu’ici, je peux dire d’une riposte (qu’elle me parle ou non) qu’elle me nourrit. Elle me questionne. M’amène à évalué mes propres limites. À repousser des possibles. Elle ouvre/ferme des portes dans ma tête. Elle m’aide a me connaître moi-même.

Je ne prétends pas avoir le bon moyen de répondre à la violence quotidienne/systémique qu’on se prend ds la gueule. Je pense que chaque personne qui souhaite survivre trouve ses réactions propres. Elles n’ont pas besoin d’être théorisées/justifiées/légitimées/labellisées pour être sensées.

Si je dois choisir entre m’entailler les veines et entailler le patriarcat, aujourd’hui je choisi d’entailler le patriarcat. Parce que ça me sera sûrement vital, nécessaire. En ripostant, même si on ne se connaît pas, tu peux me donner l’impression d’être complices de taillader la patriarcat. Et c’est un lien auquel je tiens. Parce qu’il ne s’agit pas de discours / prise de position fake. C’est du tangible, du palpable. C’est se donner de la force à travers nos actes. Etre complices et non pas « soutiens ».

Ce qui te prends aux tripes quand tu attaques/ripostes est une pulsion/envie toute personnelle. Tu ne peux pas demander à tous le monde de réagir d’un bloc. En «soutien». Parce que ça va parler/rebuter/inspirer chaque personne différemment. Alors stp ne me demandes pas de me retrouver dans tout ce que tu dis, tous ce que tu porte. Ne me dis pas quoi faire pour être un-e «bon-ne soutien», je ne veux pas de ce label. Si je ne suis pas d’accord avec toi, j’aimerai pouvoir te le faire savoir sans craindre d’être taxé-e d’anti-féministe ou de «traître-sse à la lutte». Si tu n’est prêt-e qu’à entendre la rengaine «tu es légitime … c’est un-e monstre … tu es victime», ne me demande pas mon avis. Tu sera déçu-e …

Quand tu te fait agressé, ça fait mal. Ce qui fait d’autant plus mal, c’est que ce qui t’arrive est affreusement normal. Ça arrive tous les jours dans notre belle civilisation. Mais toi tu le cries, tu fais du bruit. Ya de la casse. C’est beau à voir. Ça ne fait pas de cet-te «agresseur-e» un-e monstre. Ça en fait quelqu’un de normal. Attaquer cette normalité, ça fait de toi un-e criminel-le en puissance. La justice (étatique, réparatrice, révolutionnaire … qu’importe) impose un schéma de normes/règles valables universellement. Elle définit des punitions/réparations appropriées pour ré-éduquer les déviant-es. Toute personne dont il est avéré qu’iel transgresse ces normes/règles est coupable. Et est amené-e de gré ou de force à retrouver le droit chemin de la morale. Si tu comptes punir. Rendre justice… Ça sera sans moi.

Pour autant je m’imagine mal me mettre en travers de ton chemin pour t’en empêcher (mais qui sait…). Si on se connaît, je pourrais te proposer d’en discuter. Sinon tu liras peut-être un texte, une lettre qui tentera de t’expliquer mon désaccord.

Je n’attends d’aucun-e révolutionnaire, ni d’aucun-e féministe, qu’iel ait les mêmes idées que moi. Parce que ma vision est (personnelle et) sûrement injustifiable dans une perspective de transformation sociale. Depuis que j’ai arrêté de croire en la révolution, j’ai arrêté de croire en la fin du patriarcat. Que ça arrive ou pas dans un future lointain, je m’en bas les gonades. Ça fait bien beau dans les bouquins de SF féministe, où l’utopie est de mise.

Depuis que le sexisme existe il a sûrement toujours été tailladé. Depuis que l’hétéronome existe elle a sûrement toujours été attaquée. Depuis que le racisme existe, il a sûrement toujours été scalpé… Même si ce n’est pas «vrai», cette idée me réconforte quand je me sens seul-e, loin de toute complicité.

Je ne suis pas un soutien inconditionnel. Je ne suis pas «avec toi» ou «contre toi». Je ne suis pas «safe». Tu peux compter sur moi pour me réjouir de tes méfaits; leur donner de l’écho et te donner de la force si ça me parle, si j’en ai l’énergie.

Avec amour et rage