hiver 2022/2023/
J’étais en soirée avec des gens que je connais peu ou pas. Il n’a pas fallut deux heures pour qu’une copine fasse savoir à demi-mot, que son ex qui la harcelait depuis bientôt 2 ans était là ce soir. Qu’il était bourré et la regardait de travers depuis qu’elle était arrivée. J’ai rapidement cherché à confronter l’ex en question, mais il était déjà reparti. Un peu plus tard, au moment de partir à mon tour, je choppe dans l’escalier une conversation énervée. Un type, que j’avais déjà identifié comme le sauveur de la bande, crie à ses potes « moi, je veux pas d’agresseur ici ! ». J’ai pas réagi, je suis parti. Sur le chemin du retour j’ai pesté « qui sort des conneries pareil ?! ». Le lendemain, j’apprends que le sauveur en question est allé se bastonné avec un type qu’il accusait d’être un agresseur (en fait, il s’agissait également d’un harceleur, mais pour lui c’était pareil). Tout le monde tentait de gérer les peaux cassées de la baston entre ces deux vieux gars. Une soirée, deux situations, et que de la merde de faite ! C’est vraiment comme ça qu’on gère les camarades sexistes ? On gère pas ou bien à coup de mandales virilistes ? Ma réaction à froid, c’était d’être blasé. Une soirée, deux situations de mecs cis qui harcèlent leurs ex. La routine.
Quoi de plus affreusement banal que le harcèlement et les agressions sexuelles ?! Ça fait une paye d’année que des féministes se tuent à le dire, mais il semble nécessaire de le répéter : le sexisme est partout ! Les agressions sexuelles aussi ! Il n’existe aucun milieu qui en soit préservé !
Partant de ce constat, difficile de trouver pertinent de traquer toute personne autrice d’agression sexuelle. C’est pourtant la tendance prise par les partis et syndicats depuis Metoo, et cela s’infuse doucement dans les milieux autonomes et anti-autoritaires. On met en place des protocoles à exécuter les yeux fermés, des commissions « indépendantes » ou non statuent. Elles sont là pour gérer une crise, circonscrire le problème. Pas lieu de questionner la responsabilité collective, la culture du viol ou celle de l’intoxication dans le milieux, pas plus que l’injonction à la sexualité, les solidarités masculines ou la façon dont on s’imbriquent insidieusement drague politique et drague sexuelle. On prend un fautif, on lui met tout sur le dos, et on purge. Ni vu, ni connu. Pas de ça chez nous. Quand un mec trans de l’UCL se targue que le protocole mis en place par son organisation a jusqu’ici exclu 100 % des agresseurs identifiés, je hurle. J’enrage.
Je ne désire pas vivre dans un milieu sans agresseur, parce que c’est impossible. Si un tel milieu existait, il aurait purgé l’essentiel des mecs cis (et pas que) en les condamnant à perpétuité et il ferait régner une suspicion constante sur toute sorte de dépassement de limite. Mais, hormis sont infaisabilité pratique, mon problème principal avec cette idée d’épuration du milieux, c’est que je suis convaincu qu’elle renforce le tabou des agressions sexuelles ! Comment ? Parce que si se questionner sur ce qu’on a fait comme merde, c’est s’exposer à l’exclusion sociale : plus personne n’osera se questionner à haute voix. Il n’y aura personne pour dire « j’ai agressé ». Aussi, parce qu’on va être beaucoup à fermer nos gueules si en disant « X m’a agressé-e sexuellement », on tricard cette personne à vie de nos milieux ! Et si on ne veut pas de ces recettes miracles, on sera obligé-es de garder secrètes nos histoires. Encore ! Qui peut prétendre que l’exclusion systématique des agresseurs puisse mettre un coup d’arrêt à la culture du viol ?! C’est bien plutôt une pratique qui la renforce. Quand des compa anti-autoritaires défendent cette pratique comme l’alpha et l’oméga de la gestion d’agressions sexuelles, j’hallucine ! Est-ce qu’on se payerait pas notre tête ?
Quand on dit que les agressions sexuelles sont partout, ce n’est pas une formule. Peu de personnes peuvent dire avec certitude et honnêteté « je n’ai jamais agressé quiconque ». J’ai envie qu’on se saisisse de ce constat avec intelligence. Je ne dit pas qu’il ne faut jamais exclure quiconque, j’ai moi-même régulièrement soutenu des exclusions de certains lieux au moins temporairement. Je dit qu’il y a une myriade d’autres possibilités, et qu’on gagnerait à les considérer sérieusement. Ça fait des décennies que des copaines anti-autoritaires se prennent la tête sur des façons de gérer les agressions sexuelles loin des logiques punitives et sécuritaires. Il n’y a pas de recettes miracle*, alors on cherche, on se perd et généralement on galère. Mais avec le temps on affine des pratiques, et parfois on prend le temps d’en laisser une trace. Je dit « on », mais on est pas beaucoup à mettre les mains dans le caca. La gestion des agressions sexuelles incombe quasi exclusivement à des meufs, qui n’ont personnes pour les soutenir à leur tour. Nos pratiques sont disséminées et chronophages. Elles ne sont pas spectaculaires, parce qu’il s’agit d’engagements à tâtons et au long court.
Comment gérer les agressions sexuelles dans nos milieux anti-autoritaires ? Nul besoin de réinventer l’eau chaude, on a déjà les bases. Il suffirait qu’on se saisisse de tout ça collectivement.
On monterait des collectifs de soutien aux soutiens de victimes, pour se sortir de l’affinitaire non-mixte éphémère. On diffuserait les brochures qu’on a accumulées sur le sujet.
On questionnerait la façon dont on fait perdurer la culture du viol dans nos milieux.
On se dirait sans crainte que les auteur-ices d’agression ne sont pas que des mecs cis, que ça se passe pas que dans les relations hétéros.
On se prendrait la tête, ça c’est sûr. Mais peut-être qu’on arrêterait de jouer les outré-es à chaque nouvelle histoire qui pop.
On s’empêcherait de réagir à chaud.
On aurait pas la sidération de cellui qui redécouvre à chaque fois que ça existe.
On n’aspirerait plus à des milieux sécuritaires et aseptisés… safe.
De manière disséminée tout ça se faite déjà. J’ai envie de dire, « y’a plus qu’à le généraliser ».
Pour aller plus loin :
●* « Pas de recette miracle, perspectives extra-judiciaires face aux agressions sexuelles », brochure
● la Chaîne youtube « Contrapoints », et sa vidéo qui s’appelle « l’annulation / cancelling » (ne serait-ce que les 15 premières minutes)