Israël/Palestine choisir son camp? #5 — Quels principes antifascistes?

Depuis octobre 2024, on observe une polarisation des positions politiques sur Israël/Palestine. Cette polarisation s’illustre par une simplification caricaturale de la situation géopolitique et des analyses campistes sur l’Histoire du Proche-Orient. Les milieux anarchistes et libertaires ne sont pas en reste. On entend ici comme ailleurs des dingueries assenées avec aplomb, et la recherche de nuances y est trop souvent balayée d’un revers de main.

Voilà quelques mois que nous tournons autour du pot, en cherchant une approche pertinente. Et nous devons l’avouer, nous ne nous sentons pas assez armés intellectuellement pour écrire sur ce sujet. D’autres le font mieux que nous. Nous entamons donc une série d’articles pour diffuser ce que d’autres ont écritou dit  sur le sujet. Des fictions ou des essais, quelques podcast, faits par des gens de gauche d’horizons différents. Des textes qui éclairent la situation actuelle en faisant dans le nuance. Doit-on préciser que nous ne nous retrouvons pas dans chaque idée avancée? Ceci étant dit, nous considérons que nos nos désaccords méritent autant d’attention que nos accords.

Cette série continue avec le communiqué d’un un groupe antifasciste de Basel (Allemagne). En Novembre 2023, ils publient ce texte, dans lequel ils proposent des principes antifascistes fondamentaux, en s’opposant catégoriquemen au Hamas ou au gouvernement israélien. Nous avons traduit leur communiqué initialement publié sur le site autonome emrawi.org

 

Le conflit au Proche-Orient, et la gauche d’ici : position du Bloc gris

Le massacre du Hamas et la riposte du gouvernement israelien nous amènent à réagir et à agir. Mais qui doit-on soutenir ? Le Bloc gris se positionne.

Avant tout: nous sommes le Bloc gris, un groupe de vieux et de vieilles opposantes inébranlables, qui ont grandi et vieilli dans les mouvements de gauche radicale. Nous voyons avec effroi, des pans de notre camp politique piétiner nos positions progressistes et antifascistes, en adoptant (sans aucune critique) les discours de groupe nationalistes ou fasciste-religieux, et en leur offrant une solidarité inconditionnelle. C’est comme ça que se diffusent des slogans antisémites, ou que se mènent des actions, qui angoissent et paniquent nos compagnons juifs. Nous pensons que dans ce genre de situations, difficiles et épineuses, il est central de rappeler nos principes antifascistes fondamentaux, de les apprécier et les analyser.

L’antifascisme, pour nous c’est :

  • Zéro alliance avec des groupes religieux, ni avec le Hamas, ni aucun autre d’ailleurs (peu importe qu’ils soient de gauche ou de droite, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs)
  • Zéro fayotage auprès du gouvernement israéliens d’extrême droite
  • Zéro acceptation de la politique de colonisation israélienne, et de l’expulsion des habitants
  • Zéro racisme
  • Zéro antisémitisme
  • Zéro tolérance pour les positions homophobes et anti-queer
  • Zéro soutien aux structures patriarcales
  • Zéro soutien aux va-t-en guerre de toutes sortes

Être antifasciste et de gauche signifie pour nous : être solidaires des personnes qui, en Israël et en Palestine, en Russie et en Ukraine, et partout dans le monde, payent au prix fort l’agissement des gouvernements. Notre solidarité est puissante, et elle appartient à ceux qui sont opprimés ; à ceux qui n’ont pas voix au chapitre.

Être antifasciste c’est aussi, chercher de tous côtés des soutiens qui portent des positions de gauche, progressiste et émancipatrices. Ces personnes existent, et ont besoin de notre soutien aujourd’hui plus que jamais.

Nous ne prenons parti ni pour l’un ni pour l’autre des camps belligérants. Nous ne brandissons aucun drapeau national, nous refusons les concepts nationalistes.

L’antifascisme s’attaque à toute discrimination, à toute sorte de pouvoir et de système, qu’ils soient totalitaire ou religieux.

Il est impossible de se positionner sur l’actualité au Proche-Orient, si on ne connaît pas son histoire; La persécution millénaire des juifs et juivs en Europe, la Shoah, l’instauration de l’État d’Israel, l’expulsion de la population palestinienne du pays, les guerres arabes contre Israël, L’occupation des territoires palestiniens par Israël, la trahison des organisations palestiniennes de gauche, la politique de colonisation aggressive d’Israel, la victoire électorale du Hamas en 2006, l’extrême-droitisation du gouvernement Israel et tant d’autres rebondissements qui ont joué un rôle important.

Selon nous, des antifascistes ne peuvent pas travailler avec des organisations ou des personnes qui soutiennent le Hamas, ou le gouvernement israélien actuel. Ceux qui tuent indistinctement des humains, et s’opposent en tout point à nos principes fondamentaux, ne mériteront jamais notre solidarité. Ça vaut pour les deux camps.

Malgrés la clareté de cette positions, il persiste un certain malaise, car toute déclaration implique d’occulter et de taire pas mal d’attrocités. C’est ce que décrivais Berthold Brecht dans son poème « An die Nachgeborenen »*. Cependant, nous voyons cette prise de position comme une base de discussion, discussion que nous vous invitions à mener ensemble.

 

* : An die Nachgeborenen, « A ceux qui sont naîtront après », est un des plus importants poèmes de la littérature de l’exil. Il fut écrit entre 1934 et 1938, lorsque Brecht était réfugié au Danemark. Le voici:

 

Vraiment, je vis en de sombres temps !

Un langage sans malice est signe

De sottise, un front lisse

D’insensibilité. Celui qui rit

N’a pas encore reçu la terrible nouvelle.

Que sont donc ces temps, où

Parler des arbres est presque un crime

Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits !

Celui qui là-bas traverse tranquillement la rue

N’est-il donc plus accessible à ses amis

Qui sont dans la détresse ?

C’est vrai : je gagne encore de quoi vivre.

Mais croyez-moi : c’est pur hasard. Manger à ma faim,

Rien de ce que je fais ne m’en donne le droit.

Par hasard je suis épargné. (Que ma chance me quitte et je suis perdu.)

On me dit : mange, toi, et bois ! Sois heureux d’avoir ce que tu as !

Mais comment puis-je manger et boire, alors

Que j’enlève ce que je mange à l’affamé,

Que mon verre d’eau manque à celui qui meurt de soif ?

Et pourtant je mange et je bois.

J’aimerais aussi être un sage.

Dans les livres anciens il est dit ce qu’est la sagesse :

Se tenir à l’écart des querelles du monde

Et sans crainte passer son peu de temps sur terre.

Aller son chemin sans violence

Rendre le bien pour le mal

Ne pas satisfaire ses désirs mais les oublier

Est aussi tenu pour sage.

Tout cela m’est impossible :

Vraiment, je vis en de sombres temps !

II

Je vins dans les villes au temps du désordre

Quand la famine y régnait.

Je vins parmi les hommes au temps de l’émeute

Et je m’insurgeai avec eux.

Ainsi se passa le temps

Qui me fut donné sur terre.

Mon pain, je le mangeais entre les batailles,

Pour dormir je m’étendais parmi les assassins.

L’amour, je m’y adonnais sans plus d’égards

Et devant la nature j’étais sans indulgence.

Ainsi se passa le temps

Qui me fut donné sur terre.

De mon temps, les rues menaient au marécage.

Le langage me dénonçait au bourreau.

Je n’avais que peu de pouvoir. Mais celui des maîtres

Était sans moi plus assuré, du moins je l’espérais.

Ainsi se passa le temps

Qui me fut donné sur terre.

Les forces étaient limitées. Le but

Restait dans le lointain.

Nettement visible, bien que pour moi

Presque hors d’atteinte.

Ainsi se passa le temps

Qui me fut donné sur terre.

III

Vous, qui émergerez du flot

Où nous avons sombré

Pensez

Quand vous parlez de nos faiblesses

Au sombre temps aussi

Dont vous êtes saufs.

Nous allions, changeant de pays plus souvent que de souliers,

A travers les guerres de classes, désespérés

Là où il n’y avait qu’injustice et pas de révolte.

Nous le savons :

La haine contre la bassesse, elle aussi

Tord les traits.

La colère contre l’injustice

Rend rauque la voix. Hélas, nous

Qui voulions préparer le terrain à l’amitié

Nous ne pouvions être nous-mêmes amicaux.

Mais vous, quand le temps sera venu

Où l’homme aide l’homme,

Pensez à nous

Avec indulgence.

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