Lettre à Tomjo

Cher Tomjo,

Tu viens de perdre un allié.

J’étais peut-être un des derniers anarchistes queers à ne pas te cracher dessus. C’est fini. Oubli mon respect. Oubli ma conciliance. T’as franchi la limite, t’es passé du côté des gens que je ne veux pas fréquenter. C’est le genre de lettre un peu perso que je n’ai jamais publié sur internet. Tu laves ton linge sale en public, et je ne vois pas de raisons de répondre par un autre canal. Je te rends la monnaie de ta pièce.

Cet été encore, à Saint-Imier, je te défendais. A une copine qui arrivais en disant vouloir en découdre avec les anti-tech transphobes dans ton genre, je demandais : « T’as lu ce qu’il écrit ? Je pense pas qu’on puisse le taxer de transphobe. Tu lui a déjà parlé, tu sais à quoi il ressemble ? Non parce qu’il habite la même ville que toi quand même. Ah, bon, tu ne saurais pas le reconnaitre … Mais de quoi tu parles du coup ? ». Et sois certain que c’est le genre de discussion qui peut rompre une camaraderie naissante. Ca m’est déjà arrivé, et ça m’arrivera encore. Pas parce que j’ai choisi de soutenir des cons, mais parce que je refuse de choisir mon camp dans pas mal de situations.

Je ne pense pas qu’on soit infréquentable par contagion. J’ai dû te dire un truc comme ça quand je t’ai rencontré il y a un an. C’est pas parce que tu fréquentes PMO, et qu’ils me débectent, que tu me débectes. Je t’ai expliqué mon problème avec PMO. Je t’ai dit pourquoi j’avais prévu de zbeulé la conférence que tu organisais. Tranquillement. Posément. J’ai argumenté. Tu sais, le genre de discussion qu’on a avec quelqu’un qu’on respecte un peu. Dans ton dernier texte, tu évoques cette conférence annulée en disant que c’était le fait de personnes qui ont publié un communiqué anonyme sur Internet. Pardon ? Je ne t’ai pas donné mon état civil, mais je t’ai expliqué en long et en large ma position. J’étais contre l’initiative de faire pression sur l’orga. Avec quelques potes, on voulait zbeuler le truc, pas l’interdire. Oui, je chie sur la liberté d’expression, quand c’est celle d’exprimer des idées nauséabondes. Oui, je pense que bordéliser est historiquement une pratique anti-autoritaires. Oui, je suis féministe et antitech, et j’emmerde PMO. Oui, je pense qu’on doit se passer d’eux pour mener des luttes anti-industrielles. On a pas attendu Escudero pour critiquer la PMA. Il faudrait arrêter avec ces figures médiatiques qui cristallisent toute l’attention autour d’elles. Tu me remets ? Parce que je ne suis pas du genre à publier des textes en mon nom. Mais j’assume ce que je pense et ce que je fais. La discussion qu’on a eu n’avait rien d’impersonnelle ou d’anonyme. Ou bien il faudrait que tu redéfinisses les termes. Tu me diras que c’est une anecdote qui ne résume pas ton article sur Saint-Imier. Certes, mais elle reflète assez bien la façon que tu as de tordre les événements pour qu’ils servent ton propos. Pas étonnant que tu pondes des analyses claquées au sol.

Tu aimes jouer les francs-tireurs. Écrire des textes cinglants, où tu envoies chier tout le monde sans jamais te remettre en question. Du style « vous êtes tous des cons ». Je n’ai aucun respect pour ça. Mais jusqu’ici j’arrivais à le dépasser, pour lire tes critiques. Je ne dis pas que je m’y retrouvais. Tu n’as pas grand-chose d’anarchiste, tu critiques l’état pour qu’il remplisse mieux sa fonction d’état providence. Tu craches en bloc sur les pratiques d’autonomie. Et ta tendance à te victimiser à chaque conflit que tu engages est sérieusement relou. Mais, petite note séduisante, tu fricotes avec le gauchisme tout en méprisant le citoyennisme (en mode écologie libertaire). C’est une position pas facile, et ton numéro d’équilibriste m’inspirait du respect. Et puis tu écris des trucs, où tu dis franchement ce que tu penses, et en même temps tu milites. Et même si je ne militerais pas comme ça, et que je ne penses pas comme toi, ça aussi, ça m’inspire un certain respect. Alors que souvent les gens font l’un ou l’autre, écrire ou militer. Et à l’heure où on se flic les uns les autres pour savoir si on est assez déconstruits, où on passe plus de temps à se lécher les plaies qu’à passer à l’action. Ça me plaisait de te voir te bouger et expliquer en même temps tes idées. Et puis tu es souriant, tu discutes tranquillement. On s’est pas croisé souvent, mais ça m’a fait plaisir de te croiser.

Ça c’était avant. Tu viens de sortir un torchon appelé « mes vacances à Saint-Imier » . Une critique des dynamique que t’as observé pendant les rencontres internationales anarchistes cet été. Sans trop de surprise tu tapes sur … les queers.

« Queer, c’est ainsi qu’on nommera plus tard [dans ce texte] les assaillant-es, et c’est ainsi qu’ils se nomment eux-mêmes (on est au moins d’accord là-dessus) ; bien que certains les appellent les postmodernes, les intersectionnels, les wokes, les bienveillants, les déconstruits – voire les Iels, ou encore La Cinquième Colonne France Inter, mais c’est un peu long. »

J’ai failli m’arrêter à cette citation, page 4. Parce que lire autant d’insultes réacs à la suite, ça me laisse présager du flot de merde qui suit. Tu caricatures les queers. Nous tournes en ridicules. Nous traites de tous les noms. Nous rends coupable de toutes les dérives autoritaires. Pour mieux défendre les vrais héritiers de l’internationale anti-autoritaire. Les seuls à s’intéresser à de vrais sujets. A avoir participé à l’orga. Les vrais quoi !

Et en te lisant, je pourrais me dire « il ne parle pas de moi ». Je suis pas « queer » comme tu l’entends. Je ne rentre pas dans tes clichés honteux. Moi aussi je critique pas mal de trucs que tu critiques. T’es juste pas au courant. Pas informé.

Exemple : quand t’écris que l’atelier sur « la violence intra-communautaire et les call out (les dénonciations publiques) », n’a pas « suscité chez toi un intérêt excessif » ça me fait rigoler. C’est pas toi qui a écrit un pamphlet entier sur le sujet ? Crachant sur tout le milieu anarchiste lillois parce qu’il t’a tricard. T’es plus le bienvenu nulle part là-bas. T’es certain que la critique des dénonciations publiques ne t’intéresse pas ? Parce qu’à moi il me semblait plutôt que t’en avais fait ta marque de fabrique, dans un mode assez puant mais quand même. Cet atelier était fait pour toi ! T’aurais pu y découvrir une critique anarchiste et queer de l’exclusion sociale. Mais tu crois encore qu’il n’y a que toi et tes copains pour critiquer ça.

Tu ne parles que de ce que tu crois connaitre, et tu craches sur tout le reste. Et il faut dire que tu ne connais pas grand-chose des mouvements queers (Il semble nécessaire de le rabâcher: c’est pas lire des recherches en sciences sociales qui fait de toi quelqu’un de plus renseigné). Oui, je pourrais te laisser une fois encore le bénéfice du doute. Mais ça ne va pas être possible. Je sature de seum. Je bouillonne de colère.

C’est quoi cette merde que t’as pondu ?! Tu t’es pris pour qui en fait ? Toi, tu sais distinguer le bon grain de l’ivraie. Toi, tu sais qui sont les vrais anarchistes et les mauvais.

« On est de retour 150 ans en arrière, quand les marxistes et les « socialistes autoritaires » intriguaient dans la première Internationale
pour domestiquer les anarchistes ou les expulser.

[…]

Ce ne sont pas des jeunes, ce sont des cons – et ceux-là n’ont pas d’âge. Merci de ne pas confondre. Entre eux et nous, il n’y a pas de « conflit de génération ». Peut-être une opposition de classe – nous ne sommes pas les enfants de la technocratie et nous ne défendons pas ses intérêts – mais assurément un conflit politique. Si les queers s’offusquent de la critique des monothéismes, du refus de leurs injonctions en matière de mœurs, et de la dénonciation de leurs tendances totalitaires, lors de rencontres anarchistes… c’est qu’ils se sont trompés de camping. Ou alors, qu’ils sont venus sciemment en saboteurs, afin de s’emparer des derniers reliquats d’anarchie ; de les subvertir ou de les détruire, comme ils l’ont fait d’autres lieux et groupes. »

Assurément un conflit politique, oui! Merci de ne pas prétendre être le seul à avoir compris de quoi il retourne. Dire qu’en gros toi et tes potes êtes anarchistes et pas les autres, c’est pas ce qu’on appel avoir un conflit constructif. Tu argumentes (soit disant) sur le fond pendant plusieurs pages, allant d’amalgame en amalgame. Tu crées un épouvantail et tu tires dessus à balles réelles.

Toi, tu sais. Et tu nous le dit. Tout le mal que tu penses de la bienveillance et des politiques du care. Soi-disant ça serait

« la transformation de la société non plus par la lutte politique contre le pouvoir, mais par l’extension du domaine de la bienveillance interpersonnelle – sinon impersonnelle ».

Et de cette idée, tu conclues que le care serait une idéologie managériale pour faire passer la pillule du libéralisme. Genre, si tu défends le care, tu fais le jeu du capitalisme. Tu cesses de lutter pour entrer dans le développement personnel. Délire. Après être les chantres de la technocratie transhumaniste, les queers deviennet les défenseurs du management libéral carnassier. Faut te calmer, hein. C’est trop gros pour passer. Je ne sait pas si on est devenu-es férus de développement personnel (ça se discute), mais toi t’es devenu professionnel dans l’art du raccourci de mauvaise foi. T’as pas l’impression de tracer une carrière de polémiste à la noix?

Je suis suceptible, sans doute. Je prends les choses trop à coeur, sans doute. Au fond, je sais bien que ce texte ne s’adresse pas à moi. Tout comme le bouquin d’Escudero ne s’adressait pas aux gouines qui luttaient avec lui contre la technocratie. A quoi bon se faire relire par des gens qui savent un peu mieux que toi de quoi tu parles. A quoi bon, quand tu crois savoir, et que tu tiens pour honorable de le faire savoir.

Le ton de ton texte est à gerber. Dans le style de PMO. C’est un pamphlet puant à la sauce ‘ceci n’est pas une femme‘. Du mépris en barre. Du cynisme grinçant. Et des amalgames dignes des conspirationnistes les plus fervents. Et ça s’étonne de susciter des accès de violence ? Ben voyons ! Non mais je ne vous ai rien fait, je vous ai juste chié à la raie. Pourquoi vous vous ennervez ? On ne peut vraiment plus rien dire ! Mon pauvre. T’aurais pas un peu la victimisation facile?

Je ne vais pas t’écrire ici ce que j’ai pensé de Saint-Imier. J’écrirai un truc à tête reposé sur le conflit « critique de l’islamophobie vs critique de la religion ». Un texte où tu n’apparaitras nulle part, parce que sur place je ne t’ai vu nulle part. Je parlerai de cette FA que tu adules. De ces queers que tu honnis. Et j’essaierai d’être au moins vingt fois plus subtil que toi dans mon analyse. Mais, si tu en doutais encore : non, je n’ai pas soutenu le zbeulage du stand de la FA, ni le boycott de la foire du livre qui a suivi. Et oui, j’étais là. Et ça ne veut pas dire que je ne suis pas queer. Je te dis ici que je ne suis pas queer comme tu l’entends. Les petites cases identitaires que tu critiques tant, il semblerait que tu les chérisses quand il s’agit de clouer au pilori tout un mouvement politique. Avec toi aussi je suis sommé de choisir mon camp. Et j’ai fais mon choix. Enfin, tu ne m’as pas trop laissé le choix.

« Les queers & co partagent avec l’Inquisition la jouissance de la censure, de l’excommunication, du bannissement voire de l’autodafé. Ils brûlent de la même ardeur à maintenir leur bonne morale individuelle et à éradiquer toute déviance. C’est une pratique de fanatiques que de réclamer le retrait d’un livre, de le brûler, de réclamer l’exclusion de son exposant, et de faire taire son auteur. Religieux et queers : que de saloperies ne commettent-ils pas au nom de leur « religion de paix » et de leur « bienveillance » ? »

Peu importe celui qui me taxe de fanatique en me comparant à l’Inquisition. Celui-là peut s’assoir sur un débat posé, argumenté. Celui-là, je lui crache à la gueule.

On a donc plus rien à partager, toi et moi. On pourrait s’en tenir à l’indifférence. Mais j’ai trop l’impression que tu m’as chié dessus. Tu ne t’étonneras pas de me voir demain zbeuler tes conférences si tu t’aventures à prêcher tes analyses foireuses sur la bienveillance ou le care. Non pas que je soit un fervent partisan de l’un ou l’autre. Mais ce que toi tu en dis, ça me donnes envie de mettre des …

Comme tu dirais « toute idée poussée à bout, si juste soit-elle, devient folle ». Je te retourne le diagnostique.

Je ne te fais pas l’insulte de te demander des excuses. Tu sais très bien ce que tu fais.

A bon entendeur, salut.