mai 2016 /
Ce texte se base sur du vécu personnel. Nous avons milité avec et dans des organisations étudiantes de gauche. Nous avons aimé cela, plusieurs années. Nous avons arrêté d’aimer cela il y a quelques temps. En en parlant entre nous, nous sommes rendu compte que nous avions vécu des choses similaires, sans les avoir vécu aux mêmes endroits. Nous considérons que ces similitudes ne sont pas le fruit du hasard. Nous retraçons donc ici, un croisé d’expériences qui fait suite à de longues discussions.
On pourrait bien sûr considérer que certaines organisations sont moins pires que d’autres (comme on peut se dire que certains médias sont moins pire que d’autres). Ces espaces restent fondamentalement des espaces de dominations exacerbées, véhiculant dogmes et stratégies politiques. Alors nous ne ferons pas ici dans la nuance.
En militant avec des organisations, nous ne nous attendions pas à ce que nous y avons vécu. Si y militer nous apporta des choses positives, celles-ci ont rapidement été embrumées par de gros travers et des limites indépassables. Ce texte s’adresse, à la deuxième personne, à un-e nouvelle/eau ou futur-e militant-e. Parce que personnes ne nous avait prévenues. Nous espérons que ce texte te fera réfléchir et te permettra d’avoir des outils critiques. C’est son unique but.
Bénéfices
Quand tu arrives dans une fac, entrer dans une organisation permet d’appréhender en peu de temps ce qui se joue sur l’université. Tu découvres une certaine histoire des luttes locales. Tu te familiarises avec l’administration, les locaux et le personnel. Tu t’entoure d’un groupe de personnes déjà déjà constitué. Tu te sens appartenir à un groupe soudé par des liens politiques forts, un certain entre-soi. Tu fais l’apprentissage de certains codes, de certaines façon de parler auxquelles tu adhères pour te faire une place dans ce groupe. Tu adhères à une identité collective, jusque dans tes traits d’humour (ex : « Eh l’autre, elle a cru qu’elle avait un mandat semi-impératif ! haha»). Tu te fais des ami-es, des amant-es. Tu te sens entouré-e, compris-e, accepté-e, soutenu-e au quotidien.
Les autres militant-es t’apprennent les outils de lutte qui te serviront tout le long de ton militantisme. Écrire un compte-rendu, maquetter un tract/une affiche, prendre la parole en public, adapter ton discours en fonction de la personne à qui tu t’adresses (membre de l’administration, militant-e d’une autre organisation, « étudiant lambda »). Quand vient la première campagne/lutte, tu apprends des rituels, qui s’appliquent à toutes les mobilisations, toutes les situations de lutte. Distribuer des tracts, faire des interventions en cours, organiser une réunion publique/une manif/une AG, faire une banderole, écrire un communiqué de presse…
Militer t’apporte de l’assurance, de la confiance en toi. Tu découvres que tu peux faire des choses dont tu n’avais pas idée. Tu découvres que tu n’as pas besoin de profs pour apprendre quelque chose. Qu’il suffit que quelqu’un-e de plus expérimenté te montre. Tu découvre que toi-même tu as des connaissance que tu ne soupçonnais pas. Tu en viens facilement à voir plus d’intérêt dans le militantisme que dans tes études. Tu fais passer les réunions militantes avant les cours. Tu préfères differ des tracts que réviser. C’est plus facile de se lever le matin en sachant que tu as un objectif militant dans ta journée. Le militantisme est ton moteur. Et tu kiffes ça !
Travers
Lors des échanges et des formations, tu apprends à avoir une certaine lecture de l’histoire sans te baser sur d’autres sources que celle de l’organisation. Tu apprends à faire coûte que coûte confiance en ce cette lecture. Tu apprends à considérer certaines dates comme centrales, un peu comme à l’école. Ces dates sont, par hasard, les dates où ton organisation a été très présente dans les mobilisations. Tu apprends à ne pas questionner les points noirs, les époques dont on te dit qu’il ne s’est rien passé. Tu te consoles du manque de mobilisation actuelle en mythifiant celles passées. Tu vois des victoire historiques, là où il n’y en a pas fondamentalement. Et tu es reconnaisant-e à tes camarades (donc à l’organisation à laquelle tu appartiens), de t’apporter autant de connaissances nouvelles, pratiques et théoriques. On place en toi un capital militant. Tu comprends dans l’implicite, qu’en échange, on compte de plus en plus sur toi pour être investi-e, pour donner de toi-même. A un certain niveau d’investissement, tu te persuades que tu es indispensable à la lutte. Que si tu n’es pas là pour organiser les choses, elles ne se feront pas. Tu veux apporter autant à la lutte qu’elle t’importe. Ça te pose des cas de conscience. Quand tu n’as pas le temps/l’envie de t’investir sur une période, tu culpabilises facilement de ne pas faire passer l’organisation en priorité.
Une fois que tu commence à t’approprier la capital militant de l’organisation, tu remarques, par-ci, par-là, qu’il y a des incohérence entre les pratiques de l’organisation et ce qu’elle prétend être.
-Tu observes qu’en réunion, certaines personnes sont plus écoutées que d’autres ; et par une seule prise de parole, arrivent à orienter les prises de décisions. Parce qu’elles ont plus de bagage que toi. Parce qu’elles présentent les choses en invisibilisant/ridiculisant toute autre manière de voir. Parce qu’elles sont convaincues de ce qu’elles disent ; et arrivent aisément à convaincre. Tu te rends compte que peu importe ce que tu pourras dire, que ça aille dans ce sens où dans un autre ; ça n’aura jamais le même poids, tant que tu n’auras pas appris à argumenter de la manière qui convainc.
-On t’enjoins à être attentif-ve à une égale répartition de la parole, sans questionner les différences de capital (social, militant, universitaire …) parmi les militant-es.
-On te demande de féminiser ton langage sans réfléchir à la domination masculine dans ton organisation.
-On te demande de porter une étiquette antiraciste alors même que ton organisation est composée d’une écrasante majorité de blanc-hes, qui pratiquent un militantisme blanc.
Quoi qu’on t’en dise, tu restes convaincu-e que ton organisation est autogestionnaires, féministes et antiracistes, puisque c’est ce qu’elle en dit.
Limites
Tu vois des choses qui te dérangent. Et à partir de quoi ou de quand tu décides que c’est trop et que t’adhères pas à ce qui se dit, ce qui se fait dans ton organisation ? Pourquoi tu repousses toujours plus loin les limites de l’acceptable, du politiquement pertinent ?
La vérité c’est que t’as tellement pris tes marques dans l’organisation que tu conçois plus rien sans elle. Alors tu finis par résoudre les contradictions qui t’agitent en te persuadant que par ta présence, ton action, tu changeras les choses de l’intérieur. Quand tu constates que des positions dégueulasses sont tenues par tes propres camarades, tu te convainc que ça se résoudra par la discussion et la pédagogie. En attendant, des positions dégueulasses restent majoritaires. Et plus tu passes du temps dans l’organisation plus tu apprends à t’habituer à ce qui pouvait te choquer. Mais tu te persuades que si les lignes bougent si doucement c’est parce qu’il faut respecter le processus démocratique nécessaire à toute organisation collective.
Plus tu passes de temps dans l’organisation, plus tu apprends à faire « comme il a toujours été fait », sans questionner tes pratiques. T’es tellement dedans, tu supportes et tolères tellement de choses oppressives dans cette organisation que tu en viens à ne pas supporter la critique quand elle est extérieure. Tu l’écoutes parfois d’une oreille, mais jamais attentivement.
Quand la critique vient de personnes qui ne sont pas dans une lutte sacrificielle, tu te dis qu’elles n’ont pas de sens politique. Quand à celles qui sont dans une autre lutte sacrificielle, leurs critiques ne te regardent pas. Vous n’êtes pas de la même chapelle. Vous êtes en désaccord idéologique.
Puisque la critique extérieure n’est pas valide, tu ne remettras pas profondément en question les pratiques de ton organisation à partir d’elle. Tu t’enfermes sur la ou les lignes de ton organisation. L’autocritique ne peut venir que de l’organisation elle-même. Mais quand elle ressemble trop à telle ou telle critique de l’extérieure, elle n’est pas considérée comme valable non plus.
Plus tu passes du temps dans l’organisation, moins tu critiques sa structure, plus tu t’ancres dans la critique politiquement admise.
L’organisation te fait perdre ton sens critique, tout en te convainquant que tu es très critique politiquement.
Si il y une chose qui peut de faire quitter l’organisation pour de bon, c’est d’y vivre des choses qui te font violence personnellement ; et que cette violence y soit tolérée. Alors, pour ta santé mentale, parce que tu n’arrive plus à rester dans les faux-semblants, tu la quitte. Et ce n’est pas facile. Parce que tu ne quitte pas qu’une organisation, tu cesse de faire confiance à des potes, tu quitte une activité centrale de ta vie. C’est sans compter sur la propension de tes ancien-nes camarades à considérer que ton départ n’est « pas politique », comme pour se rassurer qu’iels ne doivent rien changer à leur manière d’agir. Et iels continuent à faire « comme on a toujours fait ».
Des anciennes encartées